« Tu regardes un dessin animé à ton âge ? ». Cette remarque, on me l’a faite. Encore et encore. Certains clichés ont la vie dure. Le cinéma d’animation souffre de remarques réductrices de la part de ses détracteurs et d’une déconsidération injustifiée. Les « dessins-animés » ne seraient pas des films comme les autres, réservés uniquement aux enfants. Spoiler alert : c’est faux. Dit-on de certains tableaux qu’ils sont pour les enfants ? La poterie est-elle réservée aux moins de 6 ans ? Alors pourquoi l’art du dessin en mouvement serait-il réservé aux têtes blondes ?
Dessin animé ou film d’animation ?
Je vais déconstruire un mythe : l’animation, c’est le fondement du septième art. Et oui, le cinéma des frères Lumière est postérieur aux pantomimes lumineux d’Émile Reynaud. La première projection de son fameux « théâtre optique » a eu lieu le 28 octobre 1892, soit trois ans avant la séance du cinématographe. Que cela soit par le dessin (pour les puristes), avec des marionnettes ou via un ordinateur, quand on parle d’animation, on parle de recréer, image par image, l’illusion de la vie. Pour cela, le réalisateur prend une photo d’une image puis modifie légèrement son contenu pour prendre une autre photo de cette nouvelle image et ainsi de suite. Pour faire une seconde de film, il faut en général 24 images afin d’assurer la fluidité du mouvement.
La prise de vue réelle relève quant à elle de la facilité : on se contente de capter des acteurs dans un décor. Cela évite d’avoir à tout créer. René Laloux, réalisateur, ira jusqu’à qualifier la prise de vue réelle de « cinéma de zombie », ne montrant à voir que des images de vie du passé. Le cinéma d’animation, par le simple fait de projeter un film, donne naissance aux personnages. La seule limite n’est plus le réel, mais l’imagination du réalisateur. Alors, quid des dessins animés? C’est en réalité une branche de l’animation, ayant connu un immense succès populaire notamment grâce à Disney, Pixar ou Warner. On a tous un souvenir devant le Roi Lion (ou Tex Avery si papi est en train de lire mon article).
Retour vers le futur : d’où viennent les préjugés ?
Avant le dessin animé à proprement parler, il y avait la série d’animation. Avec, je vous le donne en mille, les studios d’animation Disney. Dès 1923, ce bon vieux Walt Disney lance les Alice Comedies, aventures d’une jeune fille qui se retrouve dans un monde cartoonesque (n’en déplaise à Mickey qui ne sera créé qu’en 1928). Depuis, les studios consacrent une très grande partie de leur production d’animation à destination des enfants. Le géant aux oreilles de souris sera rapidement rejoint par la Warner et les « Looney Tunes ». Initialement, l’animation ne visait pas particulièrement les jeunes : ses limites étaient les mêmes que pour les films en prise réelle. Plusieurs courts-métrages d’animation faisaient régulièrement référence à la violence, au sexe, aux drogues et à un vocabulaire injurieux. L’icône Betty Boop était mise en image dans des scènes de nudité. Pépé le Putois pourchassait une chatte pour tenter de l’embrasser. Mais c’est en 1933 avec le Code Hays que tout change. Entre adultère et baisers de plus de trente secondes interdits à l’écran, les œuvres américaines sont alors censurées. Les dessins animés seront les premiers à souffrir de cette censure. Ils resteront très longtemps cantonnés à diffuser des programmes consensuels, et donc, à destination d’une audience familiale. Ainsi, s’il est évident que les personnages ont toujours été sexués, au sens social du terme, ils ont assez régulièrement été désexualisés sur le plan biologique. Grosminet est un personnage masculin et on le comprend, non pas grâce à des traits visibles, mais par sa personnalité. Dans la même idée, si un personnage apparaît nu, c’est que la situation n’est pas sexuelle. Jusqu’à la fin des années 70, l’idée d’un public enfantin va durablement inhiber l’animation américaine. Ce sera, par effet d’imitation, le cas de l’animation dans tous les pays du monde, France et Japon compris. Il existe des exceptions, comme la scène des centaures de Fantasia (1940), mais ces dernières se limiteront à des représentations de nudité, rien de sexuel n’étant montré.
Tortues Ninjas VS Jessica Rabbit
Qui veut la peau de Roger Rabbit (1988) sera une véritable révolution dans le monde lisse et parfait d’Hollywood. Alliance d’animation et de prise de vues réelles, le film raconte un monde où les Toons, personnages de nos dessins animés préférés, sont en réalité des personnages réels. En reprenant l’esprit cartoonesque et les personnages des grands studios d’animation, le long-métrage de Robert Zemeckis oppose la violence et la sexualité à l’univers « pieux » des mondes animés. Jessica Rabbit, diva animée aux formes plus qu’avantageuses, vient incarner un fantasme. L’animation redevient alors le lieu de tous les possibles, prêt à s’adapter à l’imaginaire et aux rêves. Mais alors pourquoi 30 ans après, les œuvres animées ne semblent destinées qu’aux enfants ? Les préjugés ont la vie dure. Et les dessins animés que nous avons tous consommés étant enfants y sont pour quelque chose. Les Tortues Ninja et Transformers dans les années 80, les Winx et Beyblade dans les années 2000… Toutes ces productions partagent un seul et même but : vendre des jouets. Si les dessins animés peuvent rapporter des millions, l’industrie du jouet dérivé en rapporte des milliards. Que quelqu’un ose me dire qu’il n’a jamais reçu de cartes Pokémon sous le sapin et j’arrête d’écrire cet article ! Pour en revenir à nos moutons, ou plutôt à nos pikachus, la plupart des chaînes françaises de divertissement ont donc rempli leurs programmations de dessins animés de piètre qualité. Si Oggy et les cafards a le mérite de coûter bien moins cher que des productions en prise de vue réelle, pour ce qui est du dialogue, on repassera. Cette production massive de dessins animés a ainsi envahi nos écrans pendant des décennies. Résultat ? La sortie d’œuvres d’animation plus singulières a totalement été invisibilisée. Plus encore, l’association enfance/animation est devenue implacable.
Un moyen et non une fin en soi
En 1999, South Park, le film rentre dans le Guinness des records comme le film d’animation le plus obscène jamais réalisé avec plus de 221 actes de violence et 399 jurons. Qui peut dire que cette œuvre est à destination des enfants ? Personne. South Park est l’exemple type du dessin animé qui reprend les codes des productions à destination des plus jeunes, pour mieux les pervertir. L’animation apparaît comme un moyen et non une fin en soi. Alors désolée Jean-Mi, il n’y a pas de choix à faire entre un film policier ou un film d’animation. L’animation est un procédé, qui peut être mis au service de toutes les histoires. Le drame avec Les hirondelles de Kaboul (2019), l’aventure avec Là-Haut (2019), le fantastique avec Les Noces Funèbres (2005), … La liste est longue. Mais si les critiques continuent, c’est que cela soulève un problème structurel. On arrête de regarder des dessins animés en grandissant pour se tourner vers du contenu « prise de vue réelle », comme si l’imaginaire débordant devait disparaître au profit de « la vraie vie pure et dure ». Le rédacteur en chef culture du Figaro se disait « sidéré » qu’autant d’adultes se rendent voir Vice Versa (2015), y voyant une « infantilisation de la société ». Le cantonnement du cinéma d’animation à un public enfantin représente ainsi le rejet que font les adultes de leur jeunesse.
Pourtant, Persepolis (2007) a su mieux me raconter la révolution islamiste à Téhéran que n’importe quel film en « live action ». J’ai perdu mon corps (2019) de Jérémy Clapin a su nous embarquer dans un périple poétique autour de la reconstruction de soi. Pour comprendre le cinéma d’animation, il n’est pas bon de dissocier enfance et monde adulte. Plus que n’importe quelle autre forme de cinéma, l’animation permet la force du double sens. Comme l’explique Emmanuel-Alain Raynal, producteur, lors d’une conférence : « le problème de l’animation, la BD l’a connu il y a 20 ans. Aujourd’hui, plus personne ne trouve que lire une BD c’est régressif. Il suffit de réinventer le genre et d’ouvrir le spectre des possibles. Un film peut avoir plusieurs niveaux de lecture ! ». Et il n’y a qu’à prendre Kirikou et la sorcière (1998) pour s’en rendre compte. Si l’enfant découvre un merveilleux conte sur le partage et la bienveillance, l’adulte y voit la métaphore d’un viol collectif à travers Karaba. Je ne parle même pas du génie de Miyazaki et de ses films aux mille et un niveaux de lecture. Avec l’animation on peut tout faire, tout recréer, tout faire accepter. Mais avec des dragons en plus.
Salomé Ferraris, L3 LISS
