L’enseignement privé hors-contrat : pour le meilleur, comme pour le pire

L’enseignement privé hors-contrat : pour le meilleur, comme pour le pire

 

A l’heure où le nouveau ministre de l’éducation nationale, Vincent Peillon, est investi d’une mission prioritaire consistant à réformer l’école, les questions posées restent les mêmes qu’au cours du quinquennat de Nicolas Sarkozy : De quelle manière doit-on former les enseignants ? Comment lutter contre l’échec scolaire ? Quels sont les remèdes pour combattre la dévalorisation de l’éducation ?

Ces réflexions se font dans un cadre particulier de coupe budgétaire et de volonté de revenir à l’équilibre des comptes d’ici la fin de la présidence Hollande.

A l’aube de ce nouveau quinquennat, il apparait important de faire un point sur l’enseignement privé hors-contrat. Les établissements primaires et secondaires hors-contrat ne reçoivent aucune subvention de la part de l’Etat ; par conséquent, le contrôle pédagogique y est absent.

A priori, le hors-contrat est un système souhaitable, en parallèle du système public et privé sous contrat. Comme l’explique Anne Coffinier, présidente de la Fondation pour l’Ecole, le hors-contrat est un moyen d’avoir un temps d’avance sur le système d’éducation public, ce dernier étant rigide et lent à réformer :

« Nous pensons fondamentalement que les écoles indépendantes, donc hors-contrat, ont un rôle prophétique. Elles peuvent montrer la voie à la France en termes de réformes scolaires ».

Non contraints par les règles et normes de l’éducation nationale, les établissements hors contrat sont libres de choisir la méthode d’apprentissage, le contenu des enseignements, la structure des classes…Même si l’Etat se doit de les inspecter sur des points précis –vérification du respect de l’instruction obligatoire, de l’ordre public, des bonnes mœurs et de l’obligation scolaire- ce contrôle reste purement normatif et ces établissements ont une liberté totale en termes pédagogiques.

Hormis le coût très important pour les familles –pouvant aller jusqu’à 7 000 euros l’année scolaire pour les terminales-, le hors-contrat apparait être un système promouvant une pédagogie nouvelle à un moment où celle du public semble défaillante, encourageant les faibles effectifs en classe, synonymes d’un suivi plus pointu et donc d’un meilleur apprentissage pour les élèves.

Mais comme partout, indépendance ne signifie pas excellence, rigueur et respect des règles.

Même si l’on peut dégager du paysage hors-contrat des établissements qui prennent leur mission à cœur, on se heurte à une certaine opacité émanant du système lorsque l’on souhaite étudier davantage son fonctionnement. Aucune réelle étude rendue publique n’a encore été menée que ce soit de la part des pouvoirs publics ou des institutions (INSEE, OCDE). De manière générale, le hors-contrat se confond avec le système privé, qui comprend bien entendu les établissements sous contrat avec l’Etat.

Mais promouvoir une « politique » indépendante en matière d’enseignement induit une prise de liberté sur de nombreux points.

Tout d’abord, vis-à-vis du recrutement du personnel enseignant ; même si la loi impose la détention du baccalauréat pour les postulants, les établissements sont libres dans le recrutement : un enseignant peut donc enseigner à partir du moment où il a le fameux bac. Certes, le chef d’établissement peut imposer une formation aux nouvelles recrues pour les former sur la politique pédagogique défendue par l’établissement, mais rien ne nous assure que ces formations soient suivies d’une part, et, d’autre part, que les enseignants soient recrutés sur des critères objectifs, le recrutement étant laissé à la discrétion du chef d’établissement.

Sans diplôme national exigé, il est en effet possible de constater des dérives. A partir d’un échantillon constitué de cinq élèves de lycées, inscrits dans des institutions parisiennes tels Cours Carnot, Progress, Cours Montaigne ou Cours Clapeyron, il s’avère que le constat est alarmant !

Les enseignants sont bien souvent incapables de tenir leur classe, laissant à la traîne ceux qui ne se concentrent pas ; on observe par ailleurs du laxisme dans la notation et une modification des moyennes en fin de trimestre lorsque celles-ci sont trop basses, un manque cruel de suivi alors que c’est justement cet argument qui est défendu comme constituant la pierre angulaire de la pédagogie de l’établissement, un absentéisme des étudiants qui ne semble pas poser de problème à certaines structures.

Ces étudiants de « boîtes à bac » sont justement ceux qui n’ont pas réussi dans le public et dont le privé constitue l’ultime rempart avant la déscolarisation.

Bien entendu, ce recueil de témoignages ne fait pas office de véritable enquête menée en bonne et due forme, mais il reflète l’absence totale de contrôle de l’ensemble du système.

La liberté d’enseignement a valeur constitutionnelle depuis 1977 ; c’est un principe lié aux droits fondamentaux des individus. Cette liberté cache des vices dans son application en France ; cette tentative de réflexion reflète le manque de données, d’informations et de publications quant au fonctionnement de ce type d’enseignement. Certes, les établissements cités affichent fièrement sur leur site internet la réussite spectaculaire de leurs élèves à l’épreuve du baccalauréat –supérieur à 95% alors que la moyenne nationale pour 2012 est de 84.5%-, mais aucun chiffre n’est vérifiable. L’opacité du système est le corollaire de son indépendance de l’Education Nationale.

Aujourd’hui, seulement 2.7% des élèves dans le secondaire sont inscrits dans le hors-contrat ; une aiguille dans une botte de foin me diriez-vous ? Et bien il s’avère que c’est l’existence même du hors-contrat qui cristallise de manière éclatante les inégalités sociales !

Sans aborder la question complexe et houleuse du rôle de l’école dans la reproduction des inégalités, il apparait évident que les enfants en échec scolaire et issus des milieux favorisés ont davantage de chance de poursuivre en voie générale au lycée, grâce à l’existence du hors-contrat, que leurs homologues des classes populaires, dont l’échec scolaire est synonyme d’éviction pure et simple des filières générales.

Les partisans de l’individualisme méthodologique en déduiront un choix rationnel de la part des familles ; dans une autre perspective, il faut peut être voir dans le hors-contrat un moyen pour les classes aisées de permettre à leurs enfants de poursuivre dans une voie généraliste si valorisée dans la société, au lieu d’envisager soit la déscolarisation soit les filières dites de second choix (professionnelles entres autres), considérées comme indignes.

Source : interview Anne Coffinier, libertepolitique.com

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