Petits mots, grosses conséquences
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Petits mots, grosses conséquences

Le concept de microagression s’impose petit à petit dans le débat public en France. Un moyen de rappeler qu’on peut perpétuer des discriminations sans le vouloir et d’inciter chacun et chacune à peser ses mots pour ne pas heurter l’autre.

Demander à une personne non-blanche quelles sont « ses origines ». Questionner un homosexuel sur le point de savoir s’il « fait la femme ou l’homme » dans son couple. Demander à une femme active si elle n’a pas peur que ses enfants pâtissent de son implication au travail. Ces questions peuvent sembler insignifiantes pour ceux qui les posent mais peuvent aussi être très mal vécues par ceux auxquels on les pose. 

Elles renvoient à des discriminations ou des attaques qui ciblent certains groupes. Quand on demande à une femme active si ses enfants souffrent de sa trop grande implication professionnelle, la question est loin d’être anodine. Rarement posée aux hommes, elle s’appuie sur des clichés sexistes quant à la vocation maternelle « naturelle » des femmes qui devraient mettre leur carrière au second plan.

La personne qui pose la question ne s’en rend peut-être pas compte mais elle véhicule des stéréotypes sexistes : on est alors face à une microagression. Définie dans l’ouvrage L’épreuve de la discrimination coécrit par sept sociologues, cette forme de stigmatisation a des « incidences importantes » pour la personne qui en est victime tout en semblant « secondaire » aux yeux de l’agresseur. 

Se mettre à la place de l’autre

L’intention n’est pas de blesser mais l’agression est bien réelle : la victime est atteinte dans son image d’elle-même, dans sa dignité et dans sa valeur. Ce qui semble trivial et sans importance pour l’un peut affecter sévèrement l’autre.

Ce concept est beaucoup repris par des associations défendant les droits des minorités ethniques, sexuelles ou encore des personnes en situation de handicaps. Les milieux militants et associatifs appellent chacun et chacune à peser les conséquences de leurs propos. L’objectif : éviter qu’elle ne perpétuent involontairement des stéréotypes ou des oppressions.

« On ne peut plus rien dire »

« Censure » d’après Le Figaro ou « talibanisation des démocraties » dans les colonnes de L’Express ou « Délire geignard des progressistes » pour Valeurs Actuelles. Le concept de microagression ne fait pas l’unanimité. Présenté comme une « dérive à l’américaine » favorisant l’aseptisation des rapports sociaux et la victimisation, il est pointé du doigt par de nombreux politiques, intellectuels et médias. On peut citer Laurent Dubreuil, professeur à l’université étasunienne Cornell, pour qui les pratiques comme les microagressions favorisent une « dictature des identités » et un enfermement communautaire.

Une levée de boucliers qui reste étonnante. D’après le Cercle des économistes, dès 2019, la majorité des Français se déclaraient opposés aux discriminations raciales, sexistes ou LGBTphobes et souhaitaient les voir réduire. Or, comme le rappelait en 2020 Pap Ndiaye, à l’époque chercheur et professeur à Sciences Po, la lutte contre les discriminations ne peut se faire sans une lutte contre les microagressions. Celui qui est aujourd’hui ministre de l’Éducation expliquait dans les colonnes du Monde qu’ « il reste à sensibiliser l’opinion à l’imperceptible ». Plus facile à dire qu’à faire.

Des progrès à faire

Même si la question est de plus en plus évoquée, le chemin à parcourir reste long. D’autant plus que les microagressions prennent souvent la forme de plaisanteries auxquelles les personnes discriminées n’osent pas mettre fin de peur de « casser l’ambiance » ou d’être mises à l’écart.

La situation est particulièrement problématique en entreprise, par exemple dans le cas des salariés LGBT+. D’après une étude de l’Ifop de 2022 reprise par Les Échos, un quart d’entre eux ont été victimes de « moqueries désobligeantes » et plus de la moitié d’entre eux ont déjà entendu des expressions LGBTphobes sur leur lieu de travail.

Comme l’expliquait Pap Ndiaye, la prévention et la sensibilisation restent la meilleure solution. De plus en plus développées dans les entreprises, les universités et les administrations, elles peuvent permettre d’apprendre aux gens à réfléchir aux petits mots qui peuvent blesser pour mettre fin au vaste problème des discriminations.

By La Plume, Dauphine

 

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