Pour introduire cet article, j’envisageais de jouer la carte émotion. Evidemment, j’aurais capté votre attention : la plaie saigne encore, les souvenirs sont encore clairs, le deuil encore proche. Aigri par la colère, les images des cadavres encore insistantes, vous attendriez alors que je développe le titre de l’article. Là, j’aurais pu prendre le virage de l’article sans fond mais très séduisant : le style d’article qu’on lit sur Facebook ; un top 5 des meilleures armes ou une connerie du genre. Croyez-moi, je pourrais continuer encore longtemps d’écrire sur ce que j’aurais pu faire, mais là n’est pas l’objet de mon message ; je laisse ce travail à d’autres. Ici je lutte comme je peux : j’écris. Lecteur, détourne ton regard, tu seras déçu : ma kalash ne tire pas de balles ; je ne fais pas couler de sang, sinon de l’encre. S’il est bien une lutte qu’il faut engager contre le terrorisme, c’est celle de l’imagination.
Guerre des émotions et théâtralisation de la violence
La guerre des émotions s’est déclarée sans que nous ne nous en rendions compte : sitôt nos morts enterrés il fallait des mesures fortes. Etat d’urgence permanent, plan Vigipirate rouge écarlate, déclaration belliqueuse à coup de « nous sommes en guerre » : il fallait voir, entendre, sentir la sécurité. A la théâtralisation de la violence il fallait que nous répondions par la théâtralisation de la sécurité. En fin de compte, nous n’avons pas pu nous empêcher de faire le jeu du terrorisme.
La peur est un sentiment étrange : irrationnelle mais paradoxalement irrésistible. C’est la même chose avec les terroristes ; nous les savons faibles, insignifiants et désespérés, mais nous les craignons d’une peur déraisonnable. Dès lors, le traitement psychodramatique de l’information, allant parfois jusqu’à l’indécence, par les médias et les emportements politiques répondent à un besoin psychologique plus que pratique. Nous applaudissons tous sans retenue ; après tout, nous ne pouvons pas tolérer l’incurie. Mission accomplie pour le terroriste : il ne demandait qu’à faire bouger la machine politique ; il sait qu’elle se détruira d’elle même[1]. L’essentiel de la lutte contre le terrorisme est un travail de l’ombre et du secret des services de renseignements, du démantèlement des réseaux de financements, des opérations de sensibilisation et de déradicalisation. Pourtant partout nous réclamons la lumière pour voir et sentir la sécurité. A dire vrai, tout pousse l’Etat à répondre au spectaculaire par le spectaculaire pour soulager la peur.
Relativiser les peurs, déconstruire l’horreur
Oui, la lutte contre le terrorisme est une lutte intérieure, une lutte de l’imagination. Elle nous terrorise, non pas parce qu’elle est sanguinaire ou militairement difficile, non, elle nous terrorise parce qu’elle remet en cause la nature même de la légitimité de l’Etat. Elle révèle l’incapacité de l’Etat à assurer notre sécurité contre ce qu’il s’était fait une mission de garantir : la pacification de l’espace politique. Je me rappelle de Yuval Noah Harari qui rappelait ironiquement que « pour l’Européen moyen, McDonalds est un danger bien plus sérieux que l’État islamique ». En un sens c’est vrai, l’obésité tue 2.8 millions de personnes dans le monde en un an là où le terrorisme a fait 32 658 victimes en 2014. Et pourtant, cela n’excite ni les passions ni ne remet en cause la légitimité de l’Etat parce qu’il ne s’était pas fait une mission de nous en protéger. Vous avez compris l’idée, inutile de prendre d’autres exemples comme le nombre de viols, d’accidents de la route ou de victimes du paludisme par exemple : le terrorisme terrifie car il menace une des prérogatives régaliennes de l’Etat. On nous avait tellement promis, ou plutôt, habitué, à la promesse de protection en tout temps et en tout lieu de la violence physique politique dans l’espace national ces dernières années, que l’Etat se sent spécifiquement exposé face à ce qu’il a contribué à apaiser.
Nous vaincrons avant tout le terrorisme dans nos têtes : les armes ne sont pas toujours celles que nous croyons. Contre lui, l’Etat ne peut pas tout. Reste à nous de rationnaliser notre peur pour déconstruire la menace et en mesurer les dimensions. Au centre du triptyque terroriste/média/Etat, le citoyen reste le moteur des interactions : sa peur nourrit les obsessions, les passions et la démesure.
[1] Lire « La stratégie de la mouche : pourquoi le terrorisme est-il efficace ? » de Yuval Noah Harari
Hadrien Amiel
4 Avr 2017Excellente analyse