Comme le souligne l’article de Laurie-Anne Riera, « Bercy sonne la fin de l’échappée belle du bitcoin », cette monnaie virtuelle n’est plus considérée comme un « joujou » de geek et attire sérieusement l’attention des acteurs du marché ainsi que des institutions, les États et les banques centrales en tête. En juillet dernier, le gouvernement français a rendu un rapport visant à proposer une régulation des monnaies virtuelles ; aux États-Unis, le bitcoin n’est pas considéré comme une monnaie même si la Californie l’a reconnu comme telle et que l’État de New York souhaite mettre en place un cadre légal pour réguler son utilisation. Dernièrement, la Banque de France a publié une étude visant à mettre en garde les utilisateurs du bitcoin quant à sa grande volatilité. La principale critique des officiels est que la valeur du bitcoin est instable du fait des caractéristiques du processus d’émission ; la quantité maximale étant fixée à l’avance, mais pas sa valeur bien évidemment. Néanmoins, pour certains acteurs du marché, le bitcoin constitue une valeur d’avenir dans laquelle il est nécessaire d’investir. En effet, le bitcoin est aujourd’hui davantage considéré comme un actif financier que comme une monnaie à proprement parlé. Derrière le « placement d’avenir », le bitcoin est un support d’échange totalement libre et autogéré circulant hors du système bancaire et monétaire traditionnel. Et c’est là son avantage : la monnaie virtuelle fonctionne de façon décentralisée sans aucune régulation. On peut comprendre qu’elle séduise au regard de la façon dont les banques centrales « manipulent » la monnaie légale, responsables des bulles spéculatives des années 2000 en inondant de liquidités les différents marchés. Mais la question se pose sérieusement : Le bitcoin peut-il concurrencer les monnaies légales ? La décentralisation dans la gestion de la monnaie est-elle judicieuse ? Et la concurrence des moyens de paiements (monnaies privées, comme le bitcoin, contre les monnaies officielles) est-elle souhaitable ?
Il convient de rappeler que la concurrence entre moyens de paiements existe déjà. Tout d’abord, entre les monnaies officielles. Dans l’économie internationale, les devises de référence comme le Dollar, l’Euro, la Livre ou le Yen sont en concurrence pour les fonctions traditionnelles de la monnaie : unité de compte, moyen de paiement et réserve de valeur. L’histoire du système monétaire international nous prouve que cette concurrence entre monnaies n’est pas optimale sans régulation, d’où la création d’un ordre monétaire international et d’une coopération entre les principales banques centrales pour la gestion de leurs taux directeurs. Mais l’atout du bitcoin repose sur le fait qu’il s’agisse d’une monnaie privée, utilisée hors des circuits traditionnels de paiement. Ceci permet à ses utilisateurs de rester anonymes et de n’avoir aucun coût de transaction lors des transferts de valeur. L’idée est toujours la même : la régulation par une autorité supérieure est à proscrire car contre-productive. En réalité, non seulement la concurrence entre monnaies officielles existe, mais celle entre monnaies privées et monnaies officielles aussi. Les banques émettent une monnaie : c’est le crédit ! Et cette monnaie, dite bancaire, coexiste avec la monnaie légale émise par la banque centrale selon des règles plus ou moins strictes. Les défendeurs du bitcoin comme moyen d’échange décentralisé, libéré de toute contrainte extérieure, devraient d’abord se demander si l’instabilité économique de ces dernières années est liée aux institutions bancaires et financières, qui ont abusé de leurs positions de « producteurs de crédit », ou aux banques centrales qui ont été à la rescousse du système bancaire pour éviter sa faillite. L’intérêt de l’utilisation d’une monnaie émise par un acteur privé n’a de sens que si on analyse en profondeur ses caractéristiques : le crédit est une monnaie qui est utilisée par un certain type d’acteurs pour faire circuler les biens et les services alors que la monnaie légale (pièces et billets) est le plus souvent utilisée pour les petits paiements, de la main à la main, et pour des sommes dérisoires comparés aux flux bancaires. De même, quel est l’intérêt du bitcoin au regard du système monétaire déjà existant ?
Le principe du bitcoin repose sur le freebanking : modèle prôné par F.A. Hayek dans les années 1970 et qui pousse à l’extrême l’idée de la concurrence des moyens de paiements. Partant du principe que l’inflation est créée par la surémission de la banque centrale, Hayek considérait que la stabilité monétaire serait assurée par un régime libre de concurrence monétaire. Concrètement, chaque banque serait en droit d’émettre sa propre monnaie et ses propres crédits en s’engageant à les convertir dans les autres monnaies et à assurer la stabilité de leur valeur en référence à un panier de biens ; le modèle rêvé puisque chacun pourrait être certain qu’une unité monétaire achèterait la même quantité de bien entre aujourd’hui et demain. Autrement dit, ce système assurerait la stabilité des prix. La logique est celle du marché : les monnaies les plus faibles, c’est-à-dire celles dont les banques émettrices n’arriveraient pas à en stabiliser la valeur du fait d’un excès d’émission, seraient éliminées du marché. Seules les monnaies les plus fortes seraient plébiscitées par le public. Le bitcoin s’inscrit dans le dogme ultralibéral : les autorités centrales ne peuvent pas manipuler cette monnaie virtuelle et son autogestion serait synonyme de stabilité. Comme toujours dans les questions monétaires et bancaires, il y a un gap entre la théorie et les faits. Malgré l’engouement de nombreux acteurs de marché et la volonté des autorités publiques de saisir les enjeux du bitcoin, ce dernier est tout sauf stable. Depuis 5 ans, sa valeur en devises est plus que volatile et les monnaies légales n’ont rien à lui envier sur ce point précis. Selon l’étude de la Banque de France, le bitcoin valait 9,57$ en juin 2011 et vaut désormais 450$ …en tenant bien compte qu’en décembre 2013, il avait atteint près de 1000$ ! L’instabilité que le bitcoin génère va à l’encontre de caractéristiques recherchées par les détenteurs de la monnaie. Par définition, la monnaie repose sur la confiance et les acteurs ne peuvent avoir confiance en une monnaie dont la valeur double du jour au lendemain. Au mieux, le bitcoin peut être un actif financier risqué qui, comme son nom l’indique, est rémunérateur dans la mesure où sa valeur est instable. Pour les non-initiés, sachez que ce type de produit financier alimente la spéculation.
Pour Philippe Herlin, spécialiste du Bitcoin, « Plus les banques centrales vont faire marcher la planche à billets, plus il y aura des déficits et des dettes, plus le bitcoin prendra de l’importance. La force de cette monnaie, c’est un peu la faiblesse des autres. » En d’autres termes, le bitcoin apparaît être une alternative face à l’échec des politiques menées par les grands de ce monde et visant la stabilité monétaire et financière. Mais il y a un hic : la gestion décentralisée dans l’émission du bitcoin exclut, par définition, toute régulation. En 2013, des sites internet de plateforme d’échange de bitcoin, comme MtGox (leader sur le marché en 2013 avec 80% des échanges de bitcoins), ont été piratés. Depuis début 2014, les détenteurs de ces bitcoins stockés n’ont aucun moyen de récupérer leur placement. Au-delà de l’instabilité en valeur du bitcoin en termes d’autres devises, aucune assurance n’existe comme c’est le cas dans le système bancaire traditionnel contre ce genre de cambriolage. Les hackers piratent les sites internet et récupèrent la mise : c’est le hold up du 21ème siècle ! Or, comment sécurise-t-on un système de paiement alors même que le fonctionnement de ce système suppose l’absence d’autorité supérieure et donc de régulation ? Aucun acteur de marché ne demandera une monnaie dont la valeur est instable, en cela, le bitcoin ne fait que de l’ombre au système légal.