Trois semaines après le scrutin pour l’élection du nouveau président de l’UMP, le chant des coqs raisonne toujours. Ce qui est stupéfiant dans ce désastre n’est pas tant de voir se déchirer le premier parti de France mais de constater avec affliction que les deux protagonistes sont davantage poussés par une haine réciproque que par la volonté de faire éclater la vérité électorale, elle seule vectrice de légitimité démocratique. Ce qui est fascinant ici n’est donc pas une affaire d’hommes, une vicissitude partisane, mais l’émergence de nouvelles normes démocratiques, d’une post-démocratie.
L’organisation d’élection au sein d’un parti n’est à première vue que le témoignage de la volonté d’organiser ce moment démocratique qu’est le suffrage, offrant une liberté de choix au corps électoral que sont les adhérents. C’est pourquoi nous avons pu être surpris du lexique employé par les médias au lendemain de l’élection qui, à coup de petites phrases teintées de honte et de moqueries, décriaient les bourrages d’urnes, les intimidations dans les fédérations et l’utilisation de l’appareil et des fonds par son secrétaire général. N’a-t-on pas pu s’étonner de pratiques qui nous sont généralement décrites comme appartenant à un autre temps, à d’autres territoires dont la France se plaît à montrer le chemin du « pire des régimes à l’exception de tous les autres » selon la définition churchillienne ? A l’heure où l’universalité de la démocratie éclot dans les printemps arabes, ne la retrouve-t-on pas fanée dans nos pays occidentaux ?
C’est la thèse soulevée par Colin Crouch, qui soutient qu’après une phase de mobilisation et d’expansion au cours du XXème siècle, la démocratie égalitaire entrerait désormais dans une phase de déclin, ne signifiant pas pour cela un retour en arrière mais l’avènement d’une post-démocratie.
Selon le chercheur, nous glisserions vers une situation où les institutions démocratiques perdureraient mais dont l’énergie politique s’échapperait, ne laissant dès lors que des « coquilles vides », telles une illusion de démocratie. Les institutions démocratiques sont bien présentes, ne citons que le Parlement et un président élu, mais ces institutions sont en partie creuses. Le Parlement est maintes fois qualifié « d’Assemblées aux cheveux blancs » tant il apparaît peu représentatif et l’influence du pouvoir législatif s’efface peu à peu devant l’Union Européenne et un pouvoir des marchés qui prennent le pas sur les choix politiques nationaux. M. Crouch affirme que dans ce régime post-démocratique, « le vote ne serait qu’un prétexte, l’essentiel du pouvoir se déroulant ailleurs ». Le présent cas en est un exemple édifiant : élection et vote populaire ont bien eu lieu mais ils furent entachés d’une « fraude industrielle », mêlée à l’auto-proclamation de l’un des candidats. Le problème ici est que cette dégénérescence démocratique n’est pas un cas isolé et que les candidats ne s’en sont point cachés à coup de petites phrases assassines. Les exemples pleuvent, de la condamnation de Jean Tibéri pour fraude électorale au désastre du congrès de Reims du PS. Il semble que la culture politique française ait fait de la fraude et des petits arrangements entre amis un sport national, une coutume admise, une pratique assumée.
La démocratie française est souffrante. Est-elle pour autant déclinante ? Les discours regorgeant de critiques envers nos hommes politiques ne suffisent plus. Force est de constater que la démocratie d’antan, pris d’une maladie incurable et gangrenée par des lieux de pouvoirs en constante mutation, n’a d’autre choix que d’enfanter un nouveau régime politique. Tocqueville disait que ce ne sont pas les institutions qui font qu’un régime est démocratique mais l’émergence d’une culture pour la démocratie, la conception de cette dernière évoluant avec les mœurs d’une époque. Selon Colin Crouch, nous assisterions à l’essor d’un nouveau régime qui serait « une fausse démocratie caricaturale manipulée par les médias et les lobbies ». Derrière le jeu politicien se cacheraient donc des choix politiques déterminés en privé par l’interaction entre les gouvernements et les élites qui représentent massivement les intérêts des milieux d’affaires. La corrélation avec la situation actuelle fait sens. La délibération libre apparaît viciée par des médias trop souvent de connivence avec le milieu politique pendant que le choix majoritaire semble s’effacer peu à peu sous le poids des lobbies. S’il s’ajoute à cela des malversations électorales et un monde politique toujours plus technocratique, le chemin de la convalescence démocratique ne semble pas à la portée d’un regard. Oscar Wilde disait que la démocratie était « l’oppression du peuple, par le peuple, pour le peuple », comme un écho au poids de la lassitude, de l’écœurement et de l’amertume qui pèse sur chaque citoyen qui arpente, les bras tombant, le chemin des urnes.