Elections en Egypte : la peste ou le choléra ?

Élections en Egypte : la peste ou le choléra ?

par Clément Fernandez

 

A défaut de dix, les Egyptiens auront le choix entre deux « plaies » lors du second tour de l’élection présidentielle les 16 et 17 juin.

Celui-ci voit en effet s’affronter Mohamed Morsi, arrivé en tête au 1er tour avec 24,78% des voix, à Ahmed Chafik, recueillant 23,66% des suffrages. Dans l’incertitude du scrutin, une chose est sûre : l’Egypte de la place Tahrir est la grande perdante des débuts de l’ère post-Moubarak.

Chafik est un miraculé du régime autocratique de Moubarak.

Diplômé des écoles militaires égyptiennes, véritable « écoles du pouvoir » depuis le renversement du roi Farouk en 1952, il opère sous les ordres de Hosni Moubarak pendant la guerre du Kippour en octobre 1973 dans l’aviation. Propulsé chef d’état-major de la première force aérienne d’Afrique en 1996, il devient ministre de l’aviation en 2002 avant que Moubarak le nomme premier ministre quelques jours après les premiers événements de la révolution de 2011.

Les manifestants obtiendront sa démission le 3 mars 2011, quelques semaines après le départ de Moubarak, lui reprochant sa nomination et l’ensemble de son parcours, marqués du sceau du raïs déchu.

La candidature d’un militaire à ce scrutin présidentiel ne faisait aucun doute quand on a conscience de la relation ambiguë qui existe entre le politique et l’armée égyptienne. Tewfik Aclimandos, spécialiste de l’Egypte au CNRS, parle d’ailleurs d’un « pacte » entre l’institution militaire et le monde politique, comme l’illustre les différents présidents qui se sont succédés depuis Nasser, tous ayant embrassés une carrière militaire avant de se reconvertir dans la politique.

Trois autres personnalités militaires sortaient du lot au début de la transition : Mohamed Tantawi, chef du Conseil suprême des forces armées et donc chef de l’Etat par intérim ; Sami Enan, chef d’état-major des armées ; Omar Souleiman, patron des « moukhabarat » (services de renseignement) et éphémère vice président de Moubarak en 2011. Ce dernier, qui s’était déclaré candidat, s’est vu contraint de renoncer suite à une loi dite « d’isolement politique » qui interdit aux anciens dignitaires du régime de concourir à ce scrutin. Cette même loi a été mobilisée contre Chafik pour annuler sa qualification pour le second tour. Mais la Cour suprême constitutionnelle, dont le président, Farouk Sultan, fut nommé en 2009 par Moubarak, a décidé d’invalider cette loi, preuve s’il en est, que « le droit est la plus puissante des écoles de l’imagination » comme le soulignait Giraudoux.

Une victoire de Chafik signerait l’aboutissement de la stratégie que l’Armée a mis en place après le départ de Moubarak, s’inspirant du fameux adage du film Le Guépard : « il faut que tout change pour que rien ne change ».

Morsi porte les couleurs du parti de la liberté et de la justice, vitrine politique des Frères musulmans. Homme de l’ombre, il fait office de substitut de Khairat El-Shater, le leader politique disqualifié par la commission électorale. Dans ce combat final, Morsi a habillement positionné sa candidature comme héritière de la révolution pour souligner le rôle de son concurrent sous le règne de Moubarak. C’est cependant oublier que les Frères musulmans n’ont joué qu’un rôle minime dans ces événements, n’ayant jamais fait figure de force motrice.

Son concours à l’élection présidentielle rompt également l’engagement que les Frères avaient pris, à savoir de ne pas présenter de candidat à la présidentielle.

La victoire éventuelle de Morsi inquiète sur de nombreux points. On peut légitimement douter de la compatibilité entre les Frères musulmans et les aspirations démocratiques constituant l’essence première du printemps égyptien, d’autant plus qu’une alliance gouvernementale avec le parti Al-Nour, repère de l’islamisme radical sur l’échiquier politique, semble se dessiner. On peut également s’inquiéter du sort réservé à la communauté copte (environ 10% de la population égyptienne).

L’ensemble de ces doutes tient d’un probable avènement d’un Etat religieux en Egypte, et l’exemple d’ Ennahda en Tunisie ne rassure pas les démocrates et les chantres de la laïcité.

L’affrontement entre l’armée et les Frères musulmans est finalement une constante de la politique en Egypte. Mais la situation est aujourd’hui explosive. L’Egypte ne s’est toujours pas dotée d’une Constitution.  Il ne serait également pas étonnant que l’armée utilise à nouveau ses ressorts institutionnels pour invalider l’élection en cas de victoire de Morsi, comme elle l’a fait pour le parlement. En les marginalisant, les Frères pourraient retomber dans un radicalisme d’action et de conviction encore plus poussé. Le futur président suscitera, quel qu’il soit, un rejet massif d’une grande partie de la société et de nouveaux rassemblements protestataires.

C’est finalement le seul point positif à constater : la « rue » égyptienne, forte du renversement de Moubarak, se dressera pour protéger ce qu’elle a amorcé.

En partenariat avec Politique.com

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