Si les dissensions diplomatiques entre Paris et Ankara s’accumulent depuis des mois, ils prennent de plus en plus la tournure d’un affrontement personnel entre Emmanuel Macron et Recep Tayyip Erdogan. Le point de rupture semble avoir été atteint lorsque le président turc s’est interrogé en octobre dernier sur « la santé mentale » du président français. Mais alors, la guerre est-elle déclarée entre Macron et Erdogan?
Les origines
Lorsque Emmanuel Macron devient le 8ème président de la Vème république, les relations avec la Turquie ne sont ni bonnes, ni mauvaises. Des points de tensions existent, comme le refus d’intégrer Ankara à l’Union européenne ou les oppositions historiques sur la reconnaissance du génocide arménien, mais le dialogue reste possible.
C’est un an après son élection qu’Emmanuel Macron froisse son homologue turc en recevant à l’Elysée une délégation des Forces démocratiques syriennes contre lesquelles la Turquie mène des opérations militaires. Erdogan avait accusé Macron « d’encourager les terroristes en les accueillant au palais de l’Elysée ».
Le conflit entre les deux hommes prend une autre tournure en 2019 lorsque Emmanuel Macron dénonce l’état de « mort cérébrale de l’OTAN » en raison des tensions récurrentes avec la Turquie, également membre de l’Alliance. Erdogan s’en prend alors violemment au président français en l’invitant plutôt à « examiner sa propre mort cérébrale ».
Des intérêts stratégiques opposés
Au-delà des mots, les choses s’enveniment sur le terrain.
D’abord, l’invasion du nord de la Syrie par la Turquie en octobre 2019 a été un tournant dans les relations entre Paris et Ankara. Cette offensive militaire fut lancée contre les Kurdes, anciens alliés de la France dans la lutte contre Daesh. Emmanuel Macron avait alors fustigé cette opération, déclarant qu’elle entraînerait « des conséquences humanitaires dramatiques et une résurgence de Daesh dans la région ». Le président français avait alors décidé de suspendre toute vente d’armes à la Turquie.
En Libye, la France et la Turquie soutiennent deux camps rivaux et s’accusent mutuellement de jouer « un jeu dangereux ». En effet, Ankara soutient le gouvernement d’accord national de Tripoli, reconnu par l’ONU, face aux forces du maréchal Haftar, soutenu officieusement par la France. En juin dernier, la situation était sur le point de dégénérer lorsqu’un navire de guerre français s’est approché d’un navire turc pour l’inspecter dans le cadre de l’embargo sur les armes en Libye. Il a subi une tentative d’intimidation en retour de la part de l’embarcation turque. Il n’y aura pas de tirs, mais l’escalade se poursuivra en Méditerranée dans les semaines suivantes.
Effectivement, en Méditerranée orientale, la Turquie trouve également la France sur son chemin. En août dernier, l’arrivée d’un navire turc dans les eaux territoriales grecques pousse Emmanuel Macron à renforcer la présence française dans la région. L’objectif est de freiner les projets d’exploration gazière des Turcs dans cette zone. Le président français avait alors dénoncé des « pratiques inacceptables » et insisté sur le fait que la Turquie n’est « plus un partenaire ».
Enfin, le dernier désaccord en date concerne les affrontements dans le Haut Karabakh où la Turquie soutient l’Azerbaïdjan dans son conflit avec l’Arménie. Une position vivement critiquée par Emmanuel Macron qui remet en cause l’envoi au front de mercenaires syriens par la Turquie.
Divergences idéologiques
Début octobre, après les déclarations d’Emmanuel Macron sur le séparatisme et le « besoin de structurer l’islam », Erdogan dénonce un discours provoquant à l’égard de la communauté musulmane. De nombreux points sont susceptibles d’irriter le chef d’État turc, comme l’interdiction de la formation des imams étrangers (une grande partie venant de Turquie), mais c’est surtout l’occasion pour lui de se poser en chef du monde musulman.
Après l’attentat de Conflans-Sainte-Honorine, Emmanuel Macron réaffirme son attachement aux caricatures et à la liberté d’expression, s’attirant de nouveau les foudres d’Erdogan qui remet en doute la santé mentale du président français.
Cette crise est donc le reflet des divergences de fonds entre la France et la Turquie. Alors que l’un fait la promotion de la laïcité, l’autre intègre pleinement la religion dans sa façon de gouverner, preuve d’un « choc des civilisations ».
Antoine Gaudin, L3 EIF