L’essentiel est-il réellement invisible pour les yeux ? 
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L’essentiel est-il réellement invisible pour les yeux ? 

« On ne voit bien qu’avec le cœur, l’essentiel est invisible pour les yeux » - Le renard 

Cette citation est extraite de la fable pour enfant la plus lue au monde, traduite en 518 langues, Le Petit Prince. Son auteur, Antoine de Saint Exupéry l’a écrite durant la seconde guerre mondiale à New York. Elle sera publiée en France à titre posthume en 1946. Cet ouvrage est rempli de nombreux messages, simples mais universels, qui ont su s’exporter à travers le monde entier.

Mais comment la comprendre ? L’objectif de cette phrase est de replacer l’Homme et sa sensibilité au centre de nos réflexions. Cette interprétation est justifiée par deux contextes : celui de la situation historique lors de la rédaction et celui du récit. 

D’abord, la Seconde Guerre mondiale est connue pour parachever la déshumanisation de la guerre. Avec ce conflit, on dépasse les échelles traditionnelles de personnes mobilisées et tuées. On dénombre plus de soixante millions de pertes de 1939 à 1945. Par comparaison, la Grande Guerre comptait moins de vingt millions de disparus (ce qui constituait déjà un immense dépassement). Les nouvelles méthodes et outils de guerre ont contribué à cette violente déshumanisation du conflit. On assiste à une désincarnation de la mentalité des années 1940. Le contexte historique surpasse tellement tout entendement en termes de proportion qu’on a tendance à oublier la nature d’être humain aux inconnus lointains. La citation d’Antoine de Saint Exupéry tente alors de replacer l’homme au cœur de nos pensées.

Notre vue nous offre à voir des foules toujours plus importantes et on a tendance à oublier que chaque élément de la masse présente une individualité propre. La vue nous permet de percevoir une description subjective du réel mais elle ne doit pas être exclusive dans nos prises de décisions. Elle est, il est vrai, particulièrement utile. Elle a permis de nombreuses découvertes comme le développement de l’astronomie. Néanmoins, cette citation rappelle son insuffisance en opposant la description qui se veut objective de notre vue à nos sentiments subjectifs. On vit à travers nos émotions, une vie est par essence subjective. La vue est une perception sensoriellement objective de la vie mais elle ne caractérise pas notre humanité (les animaux sont aussi doués de vue). 

Alors, on se doit en tant qu’humain de fonder nos comportements sur nos ressentis émotionnels. En pensant la société à travers des masses, on déshumanise fondamentalement nos actions. De plus, comme le soulignait Descartes, nos sens sont imparfaits et il est particulièrement complexe de départager le vrai du faux en ce qui concerne la vue. Par exemple, on voit toutes les étoiles sur le même niveau, ce qui nous laisse penser qu’elles sont toutes plus ou moins proches, ce qui est faux. Le parachèvement de la désincarnation risque de nous faire agir inhumainement et de nous faire oublier que l’on ressent tous des émotions.

Ensuite, il faut replacer cette citation au cœur du récit qui la porte. Cette phrase est prononcée par le renard à l’égard du Petit Prince. Il lui explique pourquoi sa rose est l’entité la plus importante à ses yeux, et justifie en quoi l’apprivoisement du renard a su créer une réelle amitié. C’est la seconde leçon de cette phrase, elle explique la provenance de la joie ressentie par nos relations. La vue nous offre une description qui est égale pour tous. Ce n’est pas elle qui nous amène un sentiment de joie quand nous apercevons une personne qui nous est chère. Ce qui nous fait ressentir ce sentiment positif est la construction sentimentale partagée entre les personnes. Une personne aveugle peut tout à fait ressentir de la joie de se tenir à côté d’une personne qu’elle aime. Donc c’est bien la construction partagée sur les émotions qui prime et qui nous fait vivre. Nos ressentis émotionnels n’appartiennent qu’à nous et justifient les choix relationnels que nous entreprenons. Cette unicité explique la nécessité de les placer sur le devant la scène. 

Ainsi, selon moi cette citation explicite clairement la défaillance du sens de la vue au sein de nos réflexions. Ce sens est primordial, il est vrai, et permet de percevoir le monde d’une certaine manière, mais nous devons le dépasser et penser, avant tout, à travers leurs natures d’homme.

By LaPlume, Dauphine

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