Comprendre entièrement un film au premier visionnage est-il un signe de qualité ? Satoshi Kon (1963-2010), mangaka et réalisateur de films d’animation, n’est pas de cet avis. Il affirmait que ce type de long-métrage ne lui plaisait pas réellement. La raison ? Il recherchait des films capables d’ancrer une émotion forte dans le cœur, tout en conservant une part d’incompréhension. Une sorte de rêve cinématographique.
Perfect Blue, son premier long-métrage sorti en 1997 renvoie à cette conception du cinéma. À travers un thriller, le film d’animation adapte un roman qui traite avec froideur la question des idoles, et plus largement de la célébrité au Japon. L’histoire suit la vie de Mima Kirigoe, une chanteuse de J-pop - style de musique populaire au Japon, qui change soudainement de carrière pour se diriger vers le métier d’actrice. La jeune femme est alors forcée de surmonter les contraintes de ce nouveau milieu. Elle fera également face aux critiques de ses anciens fans qui remettront en doute son choix professionnel. Le spectateur va suivre l’évolution de sa notoriété et constater la dépossession progressive de la vie et du corps de Mima dans un monde cruel et malsain.
Les idoles asiatiques
Assez inconnu en France jusqu’à l’émergence de communautés de fan de k-pop, l’univers des idoles au Japon et en Corée est un phénomène culturel qui a gagné le monde. Rien qu’en France, les deux concerts de BTS en 2019 ont tous deux rempli le stade de France. Soit deux fois 80 000 places. Cet engouement a su prendre un tournant international mais il reste incomparable face au poids qu’il représente au sein de ses pays d’origine.
La force du dévouement et l’étendue de l’industrie des idoles est un aspect majeur de l’industrie musicale en Corée et au Japon. Si la k-pop est plus populaire au niveau international que la j-pop, les industries se ressemblent sur quelques points. Les idoles doivent dédier leurs existences uniquement à leurs fans. Ce qui implique une multitude d’obligations, comme rester célibataire, ou le contrôle constant de leur identité par les labels et les fans. C’est le cas de Minami Minegishi, membre du groupe AKB48, qui a dû se raser la tête et se voir rétrograder de son groupe en raison de la découverte d’une relation intime avec un homme.
Perfect Blue traite de ce rapport de proximité entre les fans et les idoles. Dans l’univers de la musique, les chanteurs sont entièrement redevables au public. Cette logique amène certains fans à penser que les stars leur appartiennent. C’est le cas du personnage principal, l’ex chanteuse de j-pop Mima, qui va être espionnée et harcelée par un auditeur lui reprochant d’avoir trahi son groupe en devenant actrice. Le réalisateur s’est attaché tout au long du film à retranscrire cette brutalité et cette oppression que ressent Mima tout au long du film. Au fur et à mesure, le monde chatoyant et coloré de l’ancienne idole devient plus sombre et violent, autant dans la réalisation que dans le scénario.
Le cauchemar d’une réalité subjective
L’irréel prend une place très importante dans ce film. Un thème accentué par les contrastes de lumière et l’enchaînement des plans, parfois chaotiques et imprévisibles. L’ambiance est bâtie, entre autres, autour des scènes où Mima doit jouer un personnage dans sa vie d’actrice, ce qui permet à Satoshi Kon, le réalisateur, de raconter son histoire dans une linéarité floue. Plus on avance dans le long-métrage, plus on se questionne sur la réalité du monde qui nous est présenté. Les doutes du personnage principal font partie intégrante du film. Le spectateur ressent pleinement les interrogations de Mima entre doute sur son identité et confrontation avec ses sentiments. Tout cet aspect irréel fait partie de l’essence des réalisations de Satoshi Kon. Les thématiques abordées dans Perfect Blue, ainsi que les mécanismes de mise en abîme sont repris dans ses films postérieurs comme Paprika (2006). L’une des phrases répétées dans Perfect Blue, « il n’y a aucun moyen que les illusions deviennent réelles » prend alors tout son sens. .
By La Plume, Dauphine