La France aux consommateurs français

La France aux consommateurs français

 

Face à la montée du chômage, aux difficultés des PME françaises, au déficit extérieur et à la concurrence déloyale d’autres pays, le patriotisme économique retrouve toute sa vigueur. Autrefois défendu par ceux qui réfutaient la mondialisation et l’intégration européenne, le discours portant sur le « Achetez français » est d’actualité. Qui de mieux que la classe politique pour formaliser cette pensée en propositions plus ou moins abstraites : du « achetez français » de François Bayrou et de François Hollande au « made in France » de Nicolas Sarkozy. De la même manière, ce concept se répand dans toutes les sphères de la société : des marques qui vantent leur production locale aux sites internet qui ne proposent que des produits estampillés « fabrication française ». Pourquoi les politiques tiennent-ils tant à ces idées à l’aube des élections présidentielles ?

Que représente ce patriotisme économique dans l’imaginaire collectif ? Est-ce contradictoire avec toutes les avancées institutionnelles qui ont été réalisées depuis 1945 en ce qui concerne l’organisation des échanges internationaux ?

Tout d’abord, le patriotisme économique ne serait pas défendu si vigoureusement dans la sphère politique s’il ne faisait pas référence à des idées clés présentes dans les esprits des électeurs. Dans l’imaginaire collectif, le « Achetez français » a une seule et unique signification : favoriser ses compatriotes. Le consommateur, en acceptant de dépenser son revenu pour l’achat de produits français, participe à une distribution des richesses qui est différente. En effet, on retrouve la caricature du circuit keynésien en économie fermée : le niveau de l’emploi dépend de la demande effective, c’est-à-dire des anticipations des entrepreneurs sur ce que sera la demande des biens qu’ils produisent sur le marché. Un accroissement de la demande de biens produites par les entreprises françaises, stimule positivement l’activité des entrepreneurs qui à leur tour produisent davantage et donc embauchent. Bien entendu, cet effet de circuit n’est plausible que toutes choses égales par ailleurs, et en supposant qu’une partie suffisamment grande des consommateurs s’astreigne à ce « régime économique » qui a un coût. Les consommateurs acceptent de payer plus cher mais français : ils sont donc guidés non plus par une rationalité instrumentaliste qui suppose de coordonner ses moyens aux fins, c’est-à-dire de satisfaire un désir à un coût le plus bas possible, mais une rationalité axiologique qui selon M. Weber oriente les actions des individus selon d’autres valeurs que celles purement économiques : dans ce cas précis, c’est une valeur que nous pourrions qualifier de « nationaliste ».

Le « achetez français » est donc dans l’air du temps en période de marasme économique et de remises en cause des bienfaits de l’ouverture des frontières.

Premier bémol : même si les candidats à l’élection présidentielle française s’accordent sur ce patriotisme économique, il faut néanmoins distinguer le « achetez français » et le « made in France ». La première modalité, défendue par le candidat du Modem, suppose une consommation intérieure importante pour soutenir les producteurs français ; autrement dit, accroitre les débouchés des PME qui peinent, comme nous le savons, à exporter leurs productions. La seconde modalité, soutenue par l’actuel président de la République et candidat de l’UMP, entretient une logique de relocalisation et de compétitivité : les canaux de transmission d’une politique ayant ces objectifs ne sont alors pas forcément les mêmes et induisent une politique industrielle active.

Le second bémol concerne la loi française en vigueur : un produit peut être estampillé « fabrication française » si au moins 45% de sa valeur a été crée dans l’hexagone. Le 100% français est encore loin de nos paniers de biens si l’on rappelle que le prix du travail reste beaucoup plus élevé en France que dans les pays de l’est européen ou certains pays asiatiques ; prix qui renchérit fortement les produits français.

Mais est-ce que ces propositions politiques sont synonymes de protectionnisme et donc provoqueraient des retentissements dans l’Union Européenne et à l’OMC ? Le protectionnisme renvoie à un ensemble de mesures visant à protéger la production d’un pays contre la concurrence étrangère. Ces pratiques sont vivement condamnées par l’Union Européenne et l’OMC en se basant notamment sur le principe de non-discrimination : les produits importés ne doivent pas être défavorisés par rapport aux produits nationaux et aucun pays n’a le droit de subventionner ses exportations. En théorie, défendre le patriotisme économique fait acte de bonne volonté en incitant les consommateurs français à acheter français. Or, les prix de ces produits restent en général plus élevés que certaines importations de pays dans lesquels la main d’œuvre est moins onéreuse (salaire horaire plus faible et protection sociale parfois inexistante). Cette affirmation idéologique est à la frontière du repli sur l’économie domestique : inciter à acheter français ou à produire français suppose implicitement un soutien détourné à la production nationale : une politique industrielle active avec un soutien financier par exemple, un abaissement des charges pour faciliter les investissements et les embauches. La volonté politique ne restera pas lettre morte si les tenants du pouvoir décident d’approfondir la question : si cela se concrétise par des politiques de protection de certains secteurs de l’économie française, Bruxelles et l’OMC hausseront le ton en mettant en garde le gouvernement français.

Le patriotisme économique peut constituer un faux semblant de connaissance et favoriser une politique de repli sur soi : rien ne nous dit que les autres pays ne fassent pas de même privant ainsi certains débouchés à nos entreprises exportatrices. Il n’y a pas de réalité unique quant aux questions des échanges et le soutien à l’emploi français peut constituer une bonne raison d’acheter français ; néanmoins, il faut se méfier de la manière dont l’idée est récupérée en politique pour légitimer un protectionnisme qui pourrait nous être fatal, étant donné l’état de notre balance extérieure. De toute manière, il ne faut pas se méprendre, les mesures protectionnistes sont la réalité mais elles sont plus diffuses : législation spécifiques, normes de consommation… Ces règles administratives empêchent de nombreux produits étrangers d’avoir accès au marché européen. La protection alimentaire des citoyens européens est un bon moyen de proscrire le bœuf aux hormones américain : certains y voient du protectionnisme, d’autres des mesures sanitaires…à vous de voir !

 

 

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